VÉGÉTATION
Francis Hallé. Éloge de la plante
Pour une nouvelle biologie
De la faune ou de la plante ...
(Page 313 -315)
"Lequel des deux a le plus besoin de l’autre ?
D’un coup de baguette magique, supprimez toute la faune d’une forêt et laissez seulement les plantes.
Que va-t-il se passer ? Rien ; rien pendant des années, peut-être pendant des siècles. Les plantes continueront à croitre normalement. Les fleurs ne seront plus pollinisées de façon aussi efficace que par le passé mais le vent et des mécanismes assurant l’autogamie pallieront au moins partiellement l’absence de pollinisateurs… Les animaux ne sont plus là pour prélever l’effrayante taxe dont ils avaient l’habitude et qui était une cause majeure de mortalité des plantes….
Reprenez votre baguette magique et cette fois, supprimez toutes les plantes d’une forêt en conservant seulement la faune. Là, aucun doute n’est permis : attendez-vous dans un délai de quelques jours, voire de quelques heures, à un spectacle de cauchemar…Attendez-vous à des hurlements de panique, à des grappes de fourmis rongeant les mammifères sur pied, à des grouillements d’asticots dans des charognes lorsque, au terme de cette hécatombe, effroyable mais rapide, se lèvera l’horrible de la mort.
Nous autres humains, si imbus de notre supériorité sur l’ensemble des êtres vivants, croyons-nous pouvoir survivre à la disparition des plantes au niveau mondial ? ...Ne nous leurrons pas : privé de plantes, l’être humain disparaîtrait rapidement comme tous les animaux …. Ne perdons pas de vue que l’homme, malgré les prouesses technologiques dont il est si fier, est totalement incapable de fabriquer un brin d’herbe ou un puceron."
*****
Francis Ponge . Végétation
Le parti pris des choses
"Une tapisserie à trois dimensions"
La pluie ne forme pas les seuls
traits d'union entre le sol et les cieux : il en existe d'une autre sorte, moins intermittents et beaucoup mieux tramés, dont le vent si fort qu'il l'agite n'emporte pas le
tissu. S'il réussit parfois dans une certaine saison à en détacher peu de choses, qu'il s'efforce alors de réduire dans son tourbillon, l'on s'aperçoit à la fin du compte
qu'il n'a rien dissipé du tout. ***** |
Francis Ponge. Pièces
Une demi-journée à la campagne (extrait)
L'air acide et le vent corrosif, les émanations oxaliques et les injections formiques, les dards fichés d'abeilles ou d'orties, les révulsions cutanées sur le corps exposé au soleil: en une demi-journée à la campagne l'on a subi un drôle de traitement.
Sans compter l'absorption d'eaux sombre de puits, de fruits chargés de leur duvet oxygéné ou carbonique, les incisions de ronces et les inhalations de parfums bruts, qui vont de la rose à l’œillet du poète, du moisi de la cave au séché du grenier en passant par le purin de la cour de ferme...
Dans un profond silence, les mottes de labour, les touffes d'herbe trempée de pluie qui m'entourent se comportent en exhale-parfum.
... Toute fatigue se dissipera bientôt, et quand nous aurons été une fois aux feuillées nous délester d'un gros tas de merde, - malgré nos pieds un peu froids dans nos souliers vernis par la rosée, nos muscles un peu gourds, mais la peau, les poumons, le foie et le cerveau nettoyés - nos fonctions joueront de plus belle : l'homme de quarante ans se sentira réveillé.