Les phénomènes de la réitération et de la soudure (enveloppement ou anastomose) chez les arbres

Charmes communs (Carpinus betulus) de Barcus (66)
Charmes communs (Carpinus betulus) de Barcus (66)

 

Octobre à Barcus (Pays Basque). Dans le jardin d’une maison d’un particulier, au cœur du petit village. Un terrain traversé par un ruisseau. Quelques plants de framboisiers l’agrémentent et à part l’herbe de la pelouse, pas d’autres végétaux. Cette nudité contraste fortement avec la végétation de la propriété voisine où de nombreux arbustes et arbres – de loin je reconnais avec bonheur des figuiers – occupent l’espace. Ce n’est qu’en allant vers le fond du jardin que je me rends compte de la présence d’un arbre.        

 

Et là, plus je me rapproche, plus ma surprise est grande : étonnement, émotion de voir non pas un arbre mais deux arbres, l’un contre l’autre, dans un mouvement d’enlacement d’une grande élégance, isolés sur ce vaste terrain, face au fouillis végétal de l’autre côté du ruisseau. Deux complices étroitement liés, se soutenant dans l’adversité ! (Photo 1)

 

La perception que l’on a de la nature est en miroir avec notre propre vie émotionnelle. Il ne faut pas s’en défendre car cela aussi nous aide à vivre. Mais il faut en avoir conscience et en percevoir très vite les limites. Non, ces deux arbres – que je ne sais pas identifier – ne pleurent pas, enlacés l’un a l’autre ! Non, ils ne dansent pas, amoureux et complices ! Ils ne sont ni Roméo ni Juliette !

 

Mais ce n’est pas pour autant que des questions doivent rester sans réponse : la posture, la courbure d’une branche importante, le rapprochement des deux troncs interrogent. Et je me souviens avoir déjà eu l’occasion de voir deux chênes, lors d’une sortie à Castelnau de Montmiral (Tarn), dans une position presque identique, courbure en moins. (Photo2).

 

Pour avoir un cadre de réflexion et des indications sérieuses sur ce phénomène « fusionnel » de ces végétaux, j ’ai sollicité le regard et le savoir d’un botaniste, Christian Conrad, militant pour la cause du vivant sauvage (Faune et Flore) d’APIFERA (Lisle-sur-Tarn) - association pour la connaissance et la préservation de la nature - en lui communiquant une photo de ces arbres.

 

 

 

La réitération

 

« L’arbre est un charme commun (Carpinus betulus. F. Bertulacecae). Ce phénomène s’observe aussi dans les forêts. C’est ce que l’on nomme une réitération.  La branche maîtresse effectue un retour à 90° pour une recherche maximum de la lumière. Un déplacement qui s’observe couramment aussi dans la nature. J’ai pu le constater dans la forêt de Grésigne (Tarn) et dans l’Aveyron. Parmi des chênes pubescents, un individu a stoppé sa progression verticale, repartant à 45° pour aller chercher plus loin la lumière.

 

Sur la photo, on peut voir des points de soudure (enveloppement ou anastomose) : c’est une réaction de protection naturelle de l’arbre. Le vent occasionne des frottements qui le blessent, permettant aux pathogènes et autres parasites de pénétrer dans les tissus.

 

Quelques mots sur la réitération. Des observations et travaux ont été réalisés par Roelof A. A. Oldeman dans les années 90, travaux poursuivis par Francis Hallé. La réitération, (troncs adventifs), c’est la capacité de l’arbre à se multiplier végétativement, prouvant la divisibilité de l’arbre et sa nature coloniaire.

 

L’arbre est le végétal le plus élaboré, avec une belle performance dans son parcours de 390 millions d’années. »

 

 

 

APIFERA. Christian Conrad. Novembre 2020. Lisle sur Tarn

 

 

 

Chênes De Castelnaud de Montmiral (81)
Chênes De Castelnaud de Montmiral (81)

 

Réitération et architecture coloniaire

 

 

 

Francis Hallé.

 

Éloge de la plante / La découverte de la réitération

 

 

 

Page 115. « Un arbre au début de son existence a toujours une architecture unitaire ; ensuite, d’autant plus tôt que la lumière est plus abondante, d’autres unités architecturales viennent s’ajouter à la première et, par la suite, l’arbre n’arrêtera plus d’accumuler ainsi des unités réitérées ou réitérats »

 

Page 120. « …la réitération ne se limite pas aux arbres, elle s’applique aussi aux buissons, noisetier ou seringat, à la majorité des lianes, bougainvillées ou clématites, ainsi qu’à de très nombreuses herbes, œillets, Gaura, Russelia, bananiers, iris, fétuques, etc.  Chez ces plantes, la réitération se confond avec la multiplication végétative. Chaque réitérat met en place son propre enracinement et devient alors capable de mener une vie autonome ; il n’y a plus de différence entre une architecture coloniaire et un clone Cela est vrai également de certains arbres comme l’olivier ou le peuplier capables de former des clones lorsqu’ils deviennent très vieux, abolissant eux aussi la limite entre réitération et multiplication végétative. »

 

 

 

L’arbre, colonie et individu

 

 

 

Jean Henri Fabre. La Plante. Leçons à mon fils sur la botanique.

 

 

 

Pages 30/31. L’individu végétal

 

« Des saules pleureurs répandus aujourd’hui à profusion dans l’Europe entière … dérivent de proche en proche, par rameaux détachés, de celui que quelque noble croisé apporta de Babylone et planta au bord des fossés de son manoir. Ne serait-ce pas, je vous le demande, chose insensée que de regarder comme un seul et même végétal les innombrables saules pleureurs de l’Europe, par la raison qu’ils sont en réalité des tronçons du premier ? Qui s’arrêterait à cette folle idée ? Chaque saule actuel est bel et bien un arbre à part, distincts des autres, ayant son existence propre. 

 

La conclusion … saute aux yeux : un cep de vigne, un saule, un arbre, une plante quelconque, ne sont pas des individus.

 

…Bien des faits qui seraient inexplicables avec l’organisation d’un être réellement simple, deviennent d’une parfaite clarté si l’on considère l’arbre comme un être collectif dont les divers individus, les bourgeons, vivent en commun tout en conservant une certaine indépendance. »

 

 

 

Darwin, cité par Francis Hallé (Page 112)

 

« Ce n’est qu’au XIXe siècle que quelques précurseurs – pas des moindres- se rendent compte que les plantes peuvent aussi être de nature coloniaire. Darwin débarquant du Beagle :

 

« Il semble étonnant que des individus distincts puissent être unis entre eux, pourtant chaque arbre en apporte la confirmation ; en effet, ses bourgeons doivent être considérées comme des plantes individuelles ».

 

 

 

Francis Hallé Pages 113/115

 

« Cette vision de la nature coloniaire des plantes est ensuite perdue de vue pendant près d’un siècle, avant de refaire surface grâce à la botanique tropicale (et au) botaniste forestier néerlandais Roelof A.A Oldeman qui a montré que la plupart des arbres avaient aussi la faculté d’accumuler des unités architecturales qui se poussent les unes les autres en formant une colonie … A ce processus d’acquisition de la coloniarité Oldeman donne le nom de réitération.

 

Page 120 : « Admettons donc qu’un arbre réitéré puisse être en même temps une colonie et un individu … de nature végétale, peu intégré, divisible sans dommage ».

 

 

 

 

 

2 Points de soudures entre les troncs des charmes
2 Points de soudures entre les troncs des charmes

 

L’anastomose

 

 

 

Le terme d’anastomose, en botanique, désigne la fusion, ou soudure, physique et fonctionnelle de deux végétaux, appartenant à la même espèce, par leurs racines, leurs branches et même leur tronc.

 

C’est un phénomène fréquent, très visibles sur les racines des résineux qui affleurent du sol.

 

L’agriculture traditionnelle a su en tirer parti pour la construction de haies. Les branches latérales des végétaux sont rapprochées, tressées et ligaturées. Elles finissent par se souder et créent ainsi des barrières végétales infranchissables. Elles se développent, donnant à l’arbre, au fur et à mesure de sa croissance, une architecture et des formes surprenantes.

 

Cette pratique a peu à peu disparu des campagnes et très peu de régions disposent encore de ce patrimoine paysager. Les haies anastomosées sont devenues des formations végétales rares et protégées.

 

Les plus connues : en Normandie, dans le pays Roumois (Eure), les haies sont constituées essentiellement de charmes. Dans le Morvan, à Bibracte (Saône et Loire), les haies anastomosées sont des haies de hêtres remarquables.

 

 

 

Art et Anastomose

 

 

 

De tout temps, l’homme, pour sa survie, a eu et a toujours besoin du végétal : pour son alimentation, pour sa santé, pour la fabrication de ses outils, pour se loger, pour se chauffer, pour tout acte du quotidien. Le végétal nous permet de vivre notre vie d’humain et nous lui sommes redevables. Nous l’exploitons de la feuille à la racine, en toutes ses parties. Qu’elles soient vivantes ou mortes. Et nous le faisons par nécessité, mais sans vraiment prendre conscience qu’il s’agit là d’un être vivant. Nous avons besoin de lui et donc cette mort infligée au végétal s’en trouve justifiée, comme elle l’est pour l’animal.

 

Mais cela nous donne-t-il le droit de mutiler ? C’est-à-dire, sur un être vivant, de porter atteinte à l’intégrité de tout ou d’une partie physique de cette être, de le dégrader ?

 

Tout comme le bonzaï est une mutilation – et son appartenance à une tradition ancestrale ne justifie en rien cette pratique – de même, la pratique actuelle, qui consiste à se servir de cette faculté qu’ont les arbres de se souder entre eux, de se servir donc de l’anastomose, dans une démarche dite artistique, est mutilation à part entière.

 

 Les « articulteurs » pratiquent une « mise en architecture » des arbres en encordant les branches, en les taillant en les positionnant sur des points de soudure où ils sont greffés et où ils se soudent au bout d’un certain temps. Ce qui était un arbre, se transforme en une construction sortie de l’imaginaire et de la volonté de l’artiste. Créations stupéfiantes, toujours monstrueuses, dénaturant formes et volumes de l’arbre.  Œuvres désespérantes de l’homme acharné à s’approprier le monde.

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HISTOIRE DE SOUDURE ENTRE ACACIAS

A la base des deux acacias une soudure entre eux deux. Un seul point de soudure existe. En effet, à 30 cm du sol,les deux arbres se séparent.

L'acacia de droite a de nombreux réitérats à sa base, certains très épineux.

Un peu plus haut, au niveau d'une cicatrice, s'est ancré, toujours sur cet acacia, un réitérat, non épineux, qui pousse sur une bonne hauteur, tout droit.

A 1m50 environ du sol, il change de direction, se rabat sur l'acacia de gauche, qui a gardé une structure toujours bien droite, et une soudure, sur 20 cm, va se faire entre l'un et l'autre.